La nature de l’esprit ?

Nature et existence sont deux propriétés de l’être, pour ne pas dire des synonymes conceptuels, en ce que l’existence renvoie à ce qui est actuellement, et la nature à la manifestation de ce qui est universellement et indépendamment des créations humaines. Par extension, la nature désigne l’ensemble des êtres vivants et des mondes existants.

La physique est la science des lois de la nature. Mais les lois de la nature sont des artifices de l’esprit. Le concept de loi en tant qu’ensemble de règles régissant l’ordre est une hypostase, c’est-à-dire une projection de l’esprit sur un univers informe, sans frontière, sans partie, ni limite en son sein. En catégorisant la nature selon des concepts, on s’éloigne de la nature en elle-même. C’est le paradoxe de la science, car comprendre, c’est comprendre selon l’esprit. Toute connaissance classifie, distingue, conceptualise, met de l’ordre dans l’informe. Mais les concepts, idées, catégories, et autres outils de l’esprit, ne sont pas des propriétés des choses, ce sont des attributions, des cartes, des lunettes, des représentations. Aucun objet des mathématiques (nombre, figure, forme) n’a d’existence empirique. Ni un, ni deux, ni aucune addition ne s’observent au microscope. Disséquons, nous ne trouverons rien. Les mathématiciens sont bien en difficulté pour définir l’unité sans déjà présupposer l’unité dans leur énoncé, tautologie des ensembles. Le disque n’est pas non plus dans l’étoile, ni le cercle dans l’onde qui se répand dans l’eau, ni la droite le long de ma règle. Quelque chose de l’esprit nous révèle le monde, mais en comprenant le monde selon l’esprit, quelque chose de l’esprit nous en éloigne.

Pourquoi connaître, si ce n’est d’abord pour maîtriser son environnement et assurer sa sécurité ? Ce n’est pas d’abord l’amour du savoir qui pousse l’homme à connaître, c’est l’instinct. La plus profonde question au fond de tout homme, question universelle en chacun, ce n’est pas de savoir s’il y a une vie après la mort, ni comment fonctionne les étoiles, non, la plus précieuse des questions sans laquelle aucune autre n’est possible, c’est de savoir si l’on va manger aujourd’hui, et tout de suite après, où l’on va dormir ce soir. Il faut que ces questions soient en partie résolues pour se demander si l’univers est éternel. Ce mystérieux concept d’instinct, qui dans le fond ne désigne rien, est donc à la racine de la connaissance humaine, et quand l’homme cherche à s’élever au-delà de l’animal et par l’esprit toucher les étoiles, c’est toujours le ventre qui parle, animal craintif, animal peureux, soucieux d’assurer sa sécurité et celle de ses progénitures, comme un chat qui, chaque jour, inspecte son territoire et fait le tour de sa gamelle.

L’être de la nature ne sera jamais accessible à l’esprit. Il semble pourtant que nous en fassions l’expérience, dans notre chair, dans nos fibres, quand nous cessons de penser, et que nous sommes, simplement, et comme fermés à l’esprit. Nous avons dans les cellules les lois du cosmos et l’énergie des nébuleuses ; les égyptiens l’avaient bien compris ; nous ne sommes que des animaux de sable, fils de Râ, poussières d’étoile, reliés au ciel par des rayons d’or.

16/12/23

Du garçon boucher d’Alain au garçon de café de Sartre

Premier trame d’un article portant sur une pas si « étrange » ressemblance entre un texte d’Alain et un célèbre texte de Sartre.

https://hal.science/hal-04219902/document

PS: publication officielle à venir.

Mary

Au-delà du ciel bleu

Où les nébuleuses éclairent le monde

J’emporte avec moi

La poussière des savanes

Et l’ocre noir de ta peau

*

J’ai le coeur africain

L’âme céleste

Et les mains enracinées

A tes pieds nus

Porteuse d’étoiles

*

Je t’ai vu danser

D’un battement de cil

Redessiner les courbes du monde

Et l’arc du ciel

Au dessus l’abîme

*

Je t’ai vu plonger

Vaciller, chanceler, t’envoler

Comme une brindille.

Fleurs des savanes

Comme une brindille.

Prendre le large ( ou la fin du voyage)

M. Galikova

Prendre le large, cette expression avait autrefois du sens. Synonyme de départ, c’était  l’aventure, une ouverture sur un espace inconnu et l’élargissement d’un l’horizon sans fin. Le monde semblait infini, et le départ pouvait être sans retour. On emportait des morceaux de terre dans ses bagages, de la fermeté : familles, femme, père, village ; l’océan effaçait jusqu’aux sillons de nos croyances et de nos certitudes ; et le vent, le soleil, le ciel, la pluie, jetaient des couleurs nouvelles, éclatantes, écarlates, sombres aussi, par touches successives ou par remous, sur les pupilles de l’âme, à chaque fois que l’on franchissait ce large.

La sagesse populaire ne s’y était pas trompée quand elle disait que les voyages forment la jeunesse. Nouvelles formes, nouvelles couleurs, nouvelles coutumes, terreau d’une pensée nouvelle vivifiée par les embruns du large. La pensée a besoin du monde pour exister, un monde ferme et solide, un socle solide, une résistance ou s’appuyer et ne plus divaguer ; la pensée a besoin du monde pour s’élargir, et l’océan efface sans cesse la rive, offrant la possibilité de dessiner encore et encore, indéfiniment, sans se fermer la marge, ni s’emprisonner dans les carcans des idées abstraites, puériles, superstitieuses, religieuses. On ne bornait plus le chant de son âme aux mélodies de ses origines et de son pays. La mer nous apprend que rien ne reste gravé en arrière. Les montagnes ne sont que des vagues millénaires qui s’élèvent et s’abaissent au gré de vents cosmologiques et dont l’immense écoulement écrase notre éternelle petitesse. Attraction lunaire et attraction solaire, de commun accord, déforment aussi bien la croûte terrestre que le planché des vagues, et nous voguons dans cet univers sans décider du chemin. Personne ne choisit le chemin.

Aujourd’hui, vous pouvez toucher le bout du monde en moins de douze heures, soit une demie journée ; vous pouvez faire le tour du monde aussi vite que le monde lui-même, et communiquer encore avec n’importe qui à n’importe quel endroit de la planète dans un même instant. Le monde s’est considérablement rétréci, l’horizon n’apparait plus comme cette bordure sans retour, ce passage vers un ailleurs. Tout tient dans la main, et dans le fond, tout fini par se ressembler. Je suis comme chez moi ailleurs, et l’originalité humaine est un peu vagabonde, comme le Dzenko dans Consuelo, qui n’habitant nulle part habite un peu partout.

Les mondes coupés de la civilisation n’existent plus, la vague de l’occident à tout submergé, et le retour en arrière est impossible, car l’histoire ne revient jamais sur ses pas ; elle draine de nouveaux sables et apporte de nouvelles strates. Portables  et internet sont désormais présents mêmes dans les lieux les plus reculés de la savane, de l’Amazonie ou chez les autres tributs Papous qui cuisent encore leurs aliments comme à l’âge de bronze.

Le voyage n’existe plus ; voyager n’est plus qu’un concept où l’on retrouve ailleurs des lambeaux de chez soi. Partout des hommes à notre images et motivés par des désirs d’homme, animés par une raison d’homme, désireux d’une vie d’homme. Les fanatiques de tout bord ont beau hurler contre l’occident, mais ils transpirent l’occident, le confort de l’occident, la facilité de l’occident, la consommation de l’occident. Rien d’extraordinaire à vouloir la vie facile, c’est notre nature ; rare sont les loups qui refuseront le collier autre part que dans les fables ; nous préférons la gamelle et la tranquillité. Nous préférons vivre, tout simplement. Un homme mort n’est jamais un homme libre.      

Penser fatigue

Les origines de la pensée

Penser fatigue ; n’y voyez aucun mystère. Toute pensée est portée par la matière, on ne pense pas sans corps pour penser. Chaque pensée à son corolaire physique, se traduisant par la transmission d’un message bioélectrique entre neurones et synapses, mobilisant en somme tous les organes de la pensée. Littéralement, on peut observer le support matériel de la pensée en action. Qui dit transfert de matière dit énergie, qui dit énergie dit production d’énergie. La pensée ne nait pas de nulle part comme une magie de conte de fée, elle doit puiser ses ressources et ses combustibles, et c’est le corps qui lui fournit. Elle s’alimente, elle se nourrit de nutriments, elle se remplit d’oxygène, et c’est pourquoi penser épuise, et qu’il est bon d’apprendre à se mettre quelque fois en veille.

N’avez-vous jamais remarqué comment la pensée se vivifie quand le corps est soumis à certaines formes d’activités ? Vélo, marche à pied, randonnées, jardinage, activités contemplatives, comme si les pensées étaient aérées et revigorées par une douce mise en branle de l’organisme. Aussi notre pensée ressemble en ce point à la lumière d’une dynamo. La lumière semble de prime à bord impalpable, elle est pourtant quelque chose qui nous éclaire, avec ses lois et sa physique que l’on comprend. C’est pourquoi les facultés de l’esprit s’entretiennent. Une faculté qu’on n’utile pas à tendance à se rouiller suivant les lois de l’entropie. La pensée y échappe-t-elle ?   

Maintenant nous devons distinguer l’acte de penser des objets de la pensée. Penser, raisonner, imaginer, concevoir, est-ce là des facultés aussi différentes et discernables qu’on veut bien le dire. Qu’elles seraient leurs particularités ? Toujours est-il que la pensée porte et manipule des concepts, des idées, des images. C’est pourquoi nous devons d’abord nous interroger sur l’acte de penser. C’est un acte de production, produire de la pensée, mais il peut être volontaire comme involontaire. Il y a des pensées qui naissent d’elles-mêmes et nous conduisent, comme lorsque nous sommes malades et que nous délirons, comme ces pensées que l’on ressasse en boucle, ou cette petite voix qui nous parle sans savoir se taire, et il y a des pensées que nous essayons de conduire, comme lorsque nous réfléchissons, dialoguons, écrivons, suivant un objet d’étude fixe et discernable. Cela ne signifie pas nécessairement que nous créons volontairement nos pensées, mais nous pouvons au moins dire que nous essayons de choisir et de sélectionner les idées qui nous traversent. Nous y mettons de l’ordre. C’est peut-être cela penser, non pas avoir mille idées, mille images, mille inspirations, mais sélectionner celles qui nous semblent raisonnables et rationnelles. Car l’on peut être conduit par sa pensée, cela fatigue beaucoup et déprime, mais on peut aussi conduire sa pensée, ce qui est nécessite un effort conscient de volonté, distinguant l’homme raisonné du fou, c’est-à-dire de celui qui se laisse conduire par ses pensées sans les interroger, qui les prend toutes pour vraies, qui croient en toutes ses perceptions sans savoir distinguer le vrai du faux.

Penser, raisonner, c’est un peu la même chose. Raisonner veut dire étymologiquement établir un calcule, une prévision, mais aussi, de manière plus large, manipuler des concepts. Une des premières sources d’erreur est la confusion théorique établie par les philosophes, motivée pourtant à l’origine par un souci de clarification. On tend spontanément à distinguer et catégoriser les facultés de l’esprit. On parle par exemple d’Entendement, de Raison, de Volonté, d’Imagination, voire de Désirs, pour désigner des faits que l’on suppose concrets. Effectivement, il semble que je puisse distinguer conceptuellement l’imagination de la raison ou de la conception. Je peux concevoir des choses que je n’arrive pas à imaginer, par exemple le néant, et inversement, nous avons des intuitions, c’est-à-dire des idées que nous n’arrivons pas à formuler en pensée. Seulement, le réel a tendance à brouiller les choses, à les rendre confuses. Rien n’est moins certains, en dehors des spéculations théoriques, que nos facultés soient si distinctes les unes des autres, concrètement, effectivement.

Plus encore, nous avons d’une manière presque arbitraire assigné la pensée à l’organe cerveau, ou réservé au cerveau le privilège de la pensée. Or, il se pourrait que lorsque je pense, que ce soit tout mon corps qui pense, puisque chacune de mes pensées dans leur effectivité est composées de perceptions, même de celles dont je n’ai pas immédiatement conscience. Aussi, lecteur, peut-être seras-tu heureux d’apprendre que tu penses avec tes pieds, du moins pour ce qui est de la source de ta pensée.

Résumons. La pensée se distingue de trois manières : de par sa source, de par son acte, de par son objet. On peut affirmer qu’une part de sa source est corporelle sans pour autant réfuter l’idée qu’une autre part puisse avoir des embruns de mystère, même si personnellement je n’y crois guère. On peut dire ensuite qu’il y a des pensées en nous qui nous conduisent, que « ça pense » dans et par « ce corps », mais aussi qu’on peut essayer de conduire ses pensées, de les diriger, de les orienter. Quant à la question « crée-t-on des pensées ex nihilo ? », elle est à relier à notre part de mystère et échappe à toute explication rationnelle. Enfin, il faut distinguer les différents objets de la pensée, telles les idées, les images, les concepts, qui, à n’en pas douter, on tous un fort lien de proximité avec les mots. Peut-on penser sans mot ? C’est peut-être là ce qui distinguerait la pensée de la faculté pure d’imagination comme ensemble de perceptions non catégorisées à l’aide du langage. Mais les idées se brouillent, surtout quand je songe que mes pensées sont composées par les idées des autres. C’est que j’appelle l’Esprit, l’union de toutes les plus belles pensées de toute l’Humanité. Mais cet Esprit là n’existe pas non plus sans un corps pour le soutenir. Penser fatigue.           

04/05/2022

Le pessimiste m’a dit

Le pessimiste m’a dit : 

– « Les effets de la révolution technique sont d’abord invisibles. Observez ce transfert de puissance qui bouleverse l’ordre naturel.

– Rien de nouveau, remarquais je, une machine multiplie par mille la force de travail d’un seul homme.

– Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, répondit le pessimiste. Je veux parler politique. Là où autrefois la force du nombre pouvait équilibrer la balance et modérer le tyran, aujourd’hui, un homme seul peut tenir concrètement dans ses mains une si grande puissance que les peuples n’ont plus qu’à se coucher ou mourir.

– N’est-ce pas le propre de la tyrannie ? Quelques-uns gouvernent tous les autres. La Boétie a écrit des choses admirables là-dessus.

– Je ne le nie pas, mais reconnaissons qu’il existe une servitude forcée. Il est plus facile de mitrailler une foule d’un seul doigt que de passer au fil de l’épée tout un peuple désarmé. Le grand Khan en personne n’aurait jamais pu réaliser une telle prouesse sans l’aide de ses fidèles guerriers, quand le moindre Pète-la-Rose au sommet des Etats modernes peut, d’une seule pression sur un bouton et sans grand personnel pour le servir, vitrifier une partie du monde.

– Soit, dis-je. Mais la force est le panaché des régimes autoritaires. Relevez, ne serait-ce qu’une seconde la menace de l’épée, et vous verrez les peuples appeler la liberté en même temps que le soleil.

– Je n’en suis plus si sûr, répondit le pessimiste. L’esprit est malléable à merci. Plongez le dans le moule, et voyez si une graine de liberté y germe. On n’est pas à l’abris d’une grande dictature qui travaillerait les esprits par tous les moyens possibles qu’offrent déjà la puissance technique. J’ignore jusqu’à qu’elle point la technique est capable d’annihiler toute aspiration naturelle à la liberté, toute volonté propre, mais je ne doute pas que quels que ingénieux techniciens trouveront un jour le moyen de transmettre des volontés étrangères directement dans votre cortex et les faires passer comme étant vôtre, et ce au nom de votre propre bien.

– Comme vous dites, le lierre trouve toujours une brèche malgré la pierre, n’est-ce pas ? C’est liberté retrouvée. Chaque homme nouveau apporte avec lui un nouvel espoir, et donc un monde nouveau. Cela a toujours été, et la Terre continue de tourner.      

– Vous parlez de la nature de l’homme. Encore faut-il prouver deux choses : première qu’elle soit libre par essence, ce qui reste improuvable, et ensuite qu’elle sache se renforcer contre l’endoctrinement comme une bactérie contre son poison. Or, rien n’est moins sûr, car l’homme ne nait pas avec un esprit tout fait, il se façonne selon l’image du monde qui l’environne.

– Ce que vous me dépeignez là n’est rien de nouveau, ça s’appelle la religion. Les hommes n’ont pas attendu la soif de pouvoir des tyrans sanguinaires pour travailler les esprits dès le plus jeune âge. On a brulé des sorcières parce qu’elles avaient le malheur de comploter avec le diable, et pensez bien que la foule en colère croyait bien faire. Les liseurs de miracles étaient convaincus que le feu sauverait l’âme des damnés. Pauvres chats noirs, pauvres vipères, pauvres loups, pauvres crapauds. Il n’y a de diable que dans les yeux ignorants. Il existe des fanatiques de la liberté moins libres d’esprit que des culs de poules. Et encore, qui est le plus utile aux hommes ? Alors je garde la foi et vous prédis que l’homme de demain ne sera pas pire que l’homme d’hier. Il sera homme, autrement homme, et le soleil brûle. »