Il nous faut admettre que, dans un moment de tristesse, les malheurs qui se succèdent n’ont pas nécessairement de lien de causalité, où si lien il y a, ce n’est pas entre eux en tant que fatalité, mais par nous, en tant que l’on porte un regard biaisé sur tout ce qui nous arrive.
Nous sommes obnubilés par notre chagrin, et nous voudrions que le monde se penche vers nous et nous disent « nous vous comprenons, nous allons vous aider ». Mais alors que l’on vit notre malheur comme un drame digne de l’attention de tous, chacun continue de vivre avec ses propres soucis, et l’inconnu qui vous regarde dans la rue vous parler à vous-même en quête de solutions, il vous regarde comme un fou que l’on aurait libéré de l’asile. Il pourrait parfaitement comprendre vos états d’âmes, vous sauriez les expliquer, il saurait vous rassurer, mais il ne les partagerait pas, vous isolant encore plus dans la déraison qui vous consume.
Déraison ? Ce n’est pas que l’on déraisonne. Au contraire, les pensées carburent, et l’on envisage le plus large panel de possibilité. Mais toute cette pensée est conduite par le sentiment, par la peur du deuil, de l’échec, de la solitude, et par l’espoir qu’il pourrait en être autrement. Cela pousse, cela fait agir, mais cela fait souffrir.
L’on devient superstitieux à force d’être triste, on interprète chaque signe comme porteur de sens, comme s’il s’adressait à nous et essayait de nous dire quelque-chose, par exemple, comment agir. « Fait ceci, et crois que cela se produira ». C’est une pensée magique qui n’a de magique que son désespoir. On repense à nos actions passées, aux actes immoraux que l’on a accomplis, et l’on se demande si notre tristesse première n’est pas la conséquence d’une mauvaise phrase, d’un mauvais geste, comme si tout chez nous répondait à la volonté de quelqu’un de malicieux qui prétendrait vous mettre à l’épreuve pour vous rendre meilleur. Il n’y a que le diable pour aimer ça.
Je ne vois guère d’amélioration à souffrir dix années d’une vie, il n’est pas vrai que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. On peut supporter bien des états sans que rien ne change, ni en bien, ni en mal. Mais dès que l’on entend une voix pour nous raisonner, dès que l’on essaye d’objectiver notre peine, celle qui nous tiraille et nous entraine à danser une valse macabre, alors on détache l’effet de la cause. Les choses arrivent, et rien de ce qu’elles font n’est voulu. Le sort s’acharne par hasard, pourrait-on dire, non par la faute du destin, mais bien souvent, par la faute des hommes eux-mêmes et de leur nature. Et comprenez, non pas seulement l’individu, mais de l’humain tout entier vivant son rêve au détriment du réel.
Il faut être fou pour préférer l’intelligence au bonheur, où avoir supporté bien des souffrances que j’ignore.
20/02/2021