« Moïse écarta la mère en deux, tout le peuple Juif s’y engouffra. »
Penser fatigue

Penser fatigue ; n’y voyez aucun mystère. Toute pensée est portée par la matière, on ne pense pas sans corps pour penser. Chaque pensée à son corolaire physique, se traduisant par la transmission d’un message bioélectrique entre neurones et synapses, mobilisant en somme tous les organes de la pensée. Littéralement, on peut observer le support matériel de la pensée en action. Qui dit transfert de matière dit énergie, qui dit énergie dit production d’énergie. La pensée ne nait pas de nulle part comme une magie de conte de fée, elle doit puiser ses ressources et ses combustibles, et c’est le corps qui lui fournit. Elle s’alimente, elle se nourrit de nutriments, elle se remplit d’oxygène, et c’est pourquoi penser épuise, et qu’il est bon d’apprendre à se mettre quelque fois en veille.
N’avez-vous jamais remarqué comment la pensée se vivifie quand le corps est soumis à certaines formes d’activités ? Vélo, marche à pied, randonnées, jardinage, activités contemplatives, comme si les pensées étaient aérées et revigorées par une douce mise en branle de l’organisme. Aussi notre pensée ressemble en ce point à la lumière d’une dynamo. La lumière semble de prime à bord impalpable, elle est pourtant quelque chose qui nous éclaire, avec ses lois et sa physique que l’on comprend. C’est pourquoi les facultés de l’esprit s’entretiennent. Une faculté qu’on n’utile pas à tendance à se rouiller suivant les lois de l’entropie. La pensée y échappe-t-elle ?
Maintenant nous devons distinguer l’acte de penser des objets de la pensée. Penser, raisonner, imaginer, concevoir, est-ce là des facultés aussi différentes et discernables qu’on veut bien le dire. Qu’elles seraient leurs particularités ? Toujours est-il que la pensée porte et manipule des concepts, des idées, des images. C’est pourquoi nous devons d’abord nous interroger sur l’acte de penser. C’est un acte de production, produire de la pensée, mais il peut être volontaire comme involontaire. Il y a des pensées qui naissent d’elles-mêmes et nous conduisent, comme lorsque nous sommes malades et que nous délirons, comme ces pensées que l’on ressasse en boucle, ou cette petite voix qui nous parle sans savoir se taire, et il y a des pensées que nous essayons de conduire, comme lorsque nous réfléchissons, dialoguons, écrivons, suivant un objet d’étude fixe et discernable. Cela ne signifie pas nécessairement que nous créons volontairement nos pensées, mais nous pouvons au moins dire que nous essayons de choisir et de sélectionner les idées qui nous traversent. Nous y mettons de l’ordre. C’est peut-être cela penser, non pas avoir mille idées, mille images, mille inspirations, mais sélectionner celles qui nous semblent raisonnables et rationnelles. Car l’on peut être conduit par sa pensée, cela fatigue beaucoup et déprime, mais on peut aussi conduire sa pensée, ce qui est nécessite un effort conscient de volonté, distinguant l’homme raisonné du fou, c’est-à-dire de celui qui se laisse conduire par ses pensées sans les interroger, qui les prend toutes pour vraies, qui croient en toutes ses perceptions sans savoir distinguer le vrai du faux.
Penser, raisonner, c’est un peu la même chose. Raisonner veut dire étymologiquement établir un calcule, une prévision, mais aussi, de manière plus large, manipuler des concepts. Une des premières sources d’erreur est la confusion théorique établie par les philosophes, motivée pourtant à l’origine par un souci de clarification. On tend spontanément à distinguer et catégoriser les facultés de l’esprit. On parle par exemple d’Entendement, de Raison, de Volonté, d’Imagination, voire de Désirs, pour désigner des faits que l’on suppose concrets. Effectivement, il semble que je puisse distinguer conceptuellement l’imagination de la raison ou de la conception. Je peux concevoir des choses que je n’arrive pas à imaginer, par exemple le néant, et inversement, nous avons des intuitions, c’est-à-dire des idées que nous n’arrivons pas à formuler en pensée. Seulement, le réel a tendance à brouiller les choses, à les rendre confuses. Rien n’est moins certains, en dehors des spéculations théoriques, que nos facultés soient si distinctes les unes des autres, concrètement, effectivement.
Plus encore, nous avons d’une manière presque arbitraire assigné la pensée à l’organe cerveau, ou réservé au cerveau le privilège de la pensée. Or, il se pourrait que lorsque je pense, que ce soit tout mon corps qui pense, puisque chacune de mes pensées dans leur effectivité est composées de perceptions, même de celles dont je n’ai pas immédiatement conscience. Aussi, lecteur, peut-être seras-tu heureux d’apprendre que tu penses avec tes pieds, du moins pour ce qui est de la source de ta pensée.
Résumons. La pensée se distingue de trois manières : de par sa source, de par son acte, de par son objet. On peut affirmer qu’une part de sa source est corporelle sans pour autant réfuter l’idée qu’une autre part puisse avoir des embruns de mystère, même si personnellement je n’y crois guère. On peut dire ensuite qu’il y a des pensées en nous qui nous conduisent, que « ça pense » dans et par « ce corps », mais aussi qu’on peut essayer de conduire ses pensées, de les diriger, de les orienter. Quant à la question « crée-t-on des pensées ex nihilo ? », elle est à relier à notre part de mystère et échappe à toute explication rationnelle. Enfin, il faut distinguer les différents objets de la pensée, telles les idées, les images, les concepts, qui, à n’en pas douter, on tous un fort lien de proximité avec les mots. Peut-on penser sans mot ? C’est peut-être là ce qui distinguerait la pensée de la faculté pure d’imagination comme ensemble de perceptions non catégorisées à l’aide du langage. Mais les idées se brouillent, surtout quand je songe que mes pensées sont composées par les idées des autres. C’est que j’appelle l’Esprit, l’union de toutes les plus belles pensées de toute l’Humanité. Mais cet Esprit là n’existe pas non plus sans un corps pour le soutenir. Penser fatigue.
04/05/2022
Le pessimiste m’a dit

Le pessimiste m’a dit :
– « Les effets de la révolution technique sont d’abord invisibles. Observez ce transfert de puissance qui bouleverse l’ordre naturel.
– Rien de nouveau, remarquais je, une machine multiplie par mille la force de travail d’un seul homme.
– Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, répondit le pessimiste. Je veux parler politique. Là où autrefois la force du nombre pouvait équilibrer la balance et modérer le tyran, aujourd’hui, un homme seul peut tenir concrètement dans ses mains une si grande puissance que les peuples n’ont plus qu’à se coucher ou mourir.
– N’est-ce pas le propre de la tyrannie ? Quelques-uns gouvernent tous les autres. La Boétie a écrit des choses admirables là-dessus.
– Je ne le nie pas, mais reconnaissons qu’il existe une servitude forcée. Il est plus facile de mitrailler une foule d’un seul doigt que de passer au fil de l’épée tout un peuple désarmé. Le grand Khan en personne n’aurait jamais pu réaliser une telle prouesse sans l’aide de ses fidèles guerriers, quand le moindre Pète-la-Rose au sommet des Etats modernes peut, d’une seule pression sur un bouton et sans grand personnel pour le servir, vitrifier une partie du monde.
– Soit, dis-je. Mais la force est le panaché des régimes autoritaires. Relevez, ne serait-ce qu’une seconde la menace de l’épée, et vous verrez les peuples appeler la liberté en même temps que le soleil.
– Je n’en suis plus si sûr, répondit le pessimiste. L’esprit est malléable à merci. Plongez le dans le moule, et voyez si une graine de liberté y germe. On n’est pas à l’abris d’une grande dictature qui travaillerait les esprits par tous les moyens possibles qu’offrent déjà la puissance technique. J’ignore jusqu’à qu’elle point la technique est capable d’annihiler toute aspiration naturelle à la liberté, toute volonté propre, mais je ne doute pas que quels que ingénieux techniciens trouveront un jour le moyen de transmettre des volontés étrangères directement dans votre cortex et les faires passer comme étant vôtre, et ce au nom de votre propre bien.
– Comme vous dites, le lierre trouve toujours une brèche malgré la pierre, n’est-ce pas ? C’est liberté retrouvée. Chaque homme nouveau apporte avec lui un nouvel espoir, et donc un monde nouveau. Cela a toujours été, et la Terre continue de tourner.
– Vous parlez de la nature de l’homme. Encore faut-il prouver deux choses : première qu’elle soit libre par essence, ce qui reste improuvable, et ensuite qu’elle sache se renforcer contre l’endoctrinement comme une bactérie contre son poison. Or, rien n’est moins sûr, car l’homme ne nait pas avec un esprit tout fait, il se façonne selon l’image du monde qui l’environne.
– Ce que vous me dépeignez là n’est rien de nouveau, ça s’appelle la religion. Les hommes n’ont pas attendu la soif de pouvoir des tyrans sanguinaires pour travailler les esprits dès le plus jeune âge. On a brulé des sorcières parce qu’elles avaient le malheur de comploter avec le diable, et pensez bien que la foule en colère croyait bien faire. Les liseurs de miracles étaient convaincus que le feu sauverait l’âme des damnés. Pauvres chats noirs, pauvres vipères, pauvres loups, pauvres crapauds. Il n’y a de diable que dans les yeux ignorants. Il existe des fanatiques de la liberté moins libres d’esprit que des culs de poules. Et encore, qui est le plus utile aux hommes ? Alors je garde la foi et vous prédis que l’homme de demain ne sera pas pire que l’homme d’hier. Il sera homme, autrement homme, et le soleil brûle. »
Tout fuit, tout passe

L’espace
Efface
Le bruit
Hugo, Les Djinns
La retraite au 49.3 : une loi légale mais illégitime ?
La réforme des retraites défendue par le gouvernement Macron en 2023 souligne les limites et l’épuisement des rouages de la Cinquième République. Le Président, légalement élu, est la représentation de la Volonté Générale exprimée à travers le Suffrage Universel Secret. Le dispositif démocratique garantit la légalité et la légitimité des gouvernement successifs pour élaborer et établir leur programme ; la légalité signifiant en accord avec la loi, la légitimité, en accord avec les valeurs. Un président élu représentant trente pourcents des citoyens participant à l’élection peut, légalement, proposer des lois concernant cent pour cent des Français.
C’est pourquoi la réforme de mars 2023 a le mérite d’exacerber le problème de la légitimité présidentielle pour instituer une telle loi, recourant au passage en force du 49.3, outil légal offert par la constitution. En effet, tous les sondages d’opinion tendent à indiquer qu’environs deux français sur trois ne sont pas d’accord avec le projet proposé par le gouvernement actuel, un rejet amplifié par la manière de l’imposer.
Doit-on conclure que le gouvernement, le cas échéant, ne peut se targuer de représenter la Volonté Générale du pays ? Le passage en force d’une loi allant à l’encontre des tendances qui émane de la volonté citoyenne n’est-il pas légal ? L’égal, oui, mais illégitime. Un problème qui n’est pas sans solution.
Le risque encouru par ce passage forcé est d’abimer davantage l’idéal démocratique en donnant du grain à moudre à toutes sortes d’extrémistes contestataires. Le peuple Français à le droit de se tromper, du moment que son choix est librement consenti par le processus démocratique.
Il existe justement un outil constitutionnel permettant de légitimer, ou d’invalider, la réforme des retraites : le référendum. Le Président doit soumettre son projet de loi au Référendum universel et en tirer les conséquences. 50,01% d’un vote favorable suffirait pour donner de la légitimité à l’action gouvernementale. Mais il est clair qu’imposer une loi contre la Volonté Générale telle qu’elle tend à s’exprimer hors des urnes est un coup de pied qui enterre davantage le régime démocratique Français déjà mis à mal durant le COVID par un Président-Roi, et plus encore depuis que le résultat du vote au référendum de 2005 n’a pas été respecté par les représentants politiques au pouvoir. Les politiques actuels ne doivent plus se cacher derrière la structure dysfonctionnelle de représentativité de la Cinquième République pour légitimer politiquement des lois qui n’ont en fait pour seul appui légitime que la légalité qui les permets. La seule légitimité valable d’une loi est l’acquiescement de la Volonté Générale.
Le recourt au référendum aurait ici un impact plus conséquent que la simple application ou non d’une loi sur le régime des retraites, puisqu’il en va de l’audibilité même du discours politique et de sa légitimation. Prenons la démocratie au sérieux et cessons de la considérer comme une simple idéologie que l’on pourrait mettre entre parenthèses dès la Volonté Générale va à l’encontre de l’intérêt commun tel qu’il est décidé par les élites dirigeantes. Est en jeu un système de valeurs assailli et attaqué de toute part par toutes formes d’ennemis extérieurs, mais pire encore, qui s’érode de l’intérieur, en son propre cœur, par la structure même des moyens qui offre la possibilité à la représentativité électorale d’agir en toute légalité, mais en perdition de toute légitimité. La Volonté Générale n’est pas scellée par un serment qui l’unit à ses représentants le jour du vote, a contrario des représentants liés par leur fonction à l’expression de la Volonté Générale. Un pays peut être majoritairement libre de refuser ce qu’on lui impose comme étant la meilleure route à suivre pour son bien, car pour la France héritière des Lumières, il n’y a rien de pire que de bafouer l’idéal d’une souveraineté démocratique, où alors soufflons sur les cierges du rêve français.
25 mars 2023
Le secret de la longévité des couples (spéculation indicible)

Certaines idées sont inaudibles ou existent à contre-temps, comme savoir s’il existe des différences fondamentales entres les hommes et les femmes. La différence de morphologie n’est pas une idée, elle est un fait ; quant à l’influence des constructions sociales sur l’intériorité psychique d’un genre, beaucoup de théories, peu de certitude. Ne pas prendre ses désirs pour des réalités.
Parmi les théories qui ne relèvent pas de l’observation scientifique, notons celle qui annonce que si un homme veut espérer construire une vie de couple avec un certain genre de femme, il lui faut renoncer à toute velléité de liberté. Pour que votre couple dure, votre compagne doit sentir qu’elle exerce sur vous un pouvoir sans égal au point de surpasser votre droit de disposer de vous-même. Vous devez lui appartenir corps et âme, ce qui est l’idée de l’Amour, si bien qu’elle soit sûr que toute décision finale vous concernant, au fond du fond, lui reviendra en propre. Et si par malheur elle décèle chez vous une intention de choix intime, elle saura vous le faire payer. Non-dits, bouderies, elle rejettera sur vous toutes les calamités du monde. Elle saura toujours prétexter qu’elle fait nombre d’efforts pour la bonne marche de votre couple, sans comprendre que renoncer à qui vous êtes pour elle est déjà la plus noble preuve d’amour que l’on puisse raisonner. Mais on ne raisonne pas face à une femme en colère, on ne raisonne pas face à un être convaincu, tout ce que vous direz sera retenu contre vous. Aussi, observez que pour qu’un couple dure, une condition implicite s’installe subrepticement : l’homme renonce à porter les bases de sa virilité en contrepartie du calme au foyer.
Cela interroge quant à la nature du couple. Sommes-nous une espèce déterminée à fonder des familles suivant le modèle binaire ? Nul besoin de faire de l’histoire ni de l’anthropologie pour nous rendre compte autour de nous que le couple est un artifice culturel capable de rendre malheureux hommes et femmes pendant trente années de vie. Combien de parcelle de bonheur pour un immense tombeau de larmes ? L’affliction est reine. Chacun divise ses droits et double ses devoirs. Une femme heureuse après vingt ans de mariage, un homme heureux de toujours coucher avec la même femme, des gens amoureux, en somme, sont aussi moins soucieux de liberté. Ils acceptent et aiment leur condition d’être un à deux. Le bonheur des amoureux nécessite de renoncer à la liberté individuelle. Ce renoncement est condition première, et rare sont les couples dont les particules élémentaires vont ensemble et par nature dans la même direction. C’est alors l’ultime bonheur, bonheur d’être librement déterminé à deux, mais bonheur trop rare pour être observé, car si l’on pouvait lire l’intime pensée de tout à chacun, combien même conformé, transformé, résilié, on y trouverait des lambeaux de regret cachés sous les sourires niais d’une âme abandonnée.
Les hommes ont le devoir d’aimer sans condition femme et enfant. Engendrer puis protéger, tel est la loi simiesque qui gouverne la nature des hommes. Il n’y a pas réciprocité. Une femme préfèrera souvent ses enfants à son mari. Elle saura mourir pour les uns, mais non pas pour l’autre. L’amour maternelle est plus fort, qui est aussi l’amour de soi, car c’est soi que l’on aime dans l’autre, prolongement de nous-même. C’est la vie qui s’aime elle-même. D’où cette étrange idée que les hommes sont condamnés à ne jamais être aimés pour qui ils sont, ou toujours parcellement, au commencement, sous l’effet d’un aveuglement instinctif et déterminé par le désir naturel de perpétuer l’espèce en conformité avec les normes sociales.
Voyons maintenant si nous pouvons penser différemment. Nature n’est pas fatalité. Mais si « le cœur a ses raisons que la raison ignore », je préfère le cœur de la raison qui proprement nous élève au-delà de l’instinct ancestral, animal, immortel.
19/03/2023
Sur l’immortalité de l’idée
Vous, à l’âme immortelle, vous ne croyez pas à votre propre idée. Vous dites que votre corps est le support intermittent de votre éternité, mais votre idée de l’immortalité se flétrit au premier saut et à la première coupure de la réalité sur votre chair. Pourquoi ne vous délivrez-vous pas de votre prison charnelle ? Pourquoi tremblez-vous, suez-vous, hurlez-vous à mort comme un coq les pieds pris au piège dans les mains du bourreau ? Un canon sur votre tempe et vous voilà tétanisés. N’êtes-vous pas immortels ? Que redoutez-vous ? Votre idée n’est que parole, mais vous vous trompez vous-même ; vous refusez de voir ce corps frénétique qui convulse, tousse, expulse, happe le moindre filet d’air, car il refuse de mourir, il refuse de partir, il refuse l’anéantissement de son être. Comme tout croyant, vous ne vous croyez pas vous-même, les idées ne brisent pas la pierre. L’anéantissement de votre conscience est la fin du monde, de votre monde, et de tout monde.
Loup Larsen se trompe sur une chose ; la force n’est pas un droit. Elle n’est qu’une partie de la nature, l’essentiel de la nécessité. Mais coopération, entre-aide, amour et amitié, sont d’autres parties de la nature. L’âme survit un temps pour peu que l’on se souvienne de nous et que l’on vive par nous ; mais qu’est-ce que mille ans de mémoire devant un milliard d’années ?
Ma vie, ma propre vie, unique et singulière, ne m’autorise pas à être égoïste, à ne me battre que pour ma survie. « Je suis, j’existe », n’est premier que dans l’ordre de la connaissance. Le cogito est le point de départ cartésien pour redécouvrir le monde, mais Descartes redécouvre le monde en second lieu, toujours suivant l’ordre de la connaissance, car dans l’ordre des faits, le monde est premier. « Je suis, j’existe, toutes les fois où je le conçois en mon esprit », c’est-à-dire, comme partie du tout. J’arrive après le monde et repartirait avant lui. L’individu n’est pas premier.
Le seul devoir d’un homme est un devoir universel : être un passeur de vie. Mais ne croyez pas non plus que l’espèce est immortelle. Le problème des idées, c’est qu’elles sont constantes et immuables, elles figent l’essence et en fait une statue fixe. Mais le monde n’est pas immuable, le monde est mer, houle et vague. Chaque homme est déjà différent de l’homme d’hier. Chacun d’entre-nous sommes le commencement d’une nouvelle espèce, comme des pépins de pommes, toujours neuf, nouveau, singulier, prometteur, et toujours brouillon. Mais cette vérité n’est pas à notre échelle. Nous ne voyons pas la montagne s’élever, rouler et s’affaisser comme la vague. Pourtant, le monde est océan, océan de pierre, poussière d’étoile qui s’écoule dans le vide.
18/11/2022
Bof, au détour d’une pensée
« Les menstruations, c’est sans gland. »
Connais-toi
« La grandeur d’âme consent à ignorer beaucoup des autres et même de soi. Non seulement elle y consent, mais aussi elle le veut. Il est tellement plus facile de changer les pensées que de les connaitre. »
Alain, LP, novembre 1921
Se tourmenter
Le fait ne répond jamais à l’idée, pas exactement. Mais le remède est simple : puisque le réel dévie toujours de l’attente qu’on en a, alors, il suffit de ne point y penser. Avisons au moment venu, les variations de l’esprit ne changeront pas l’ordre des atomes.
C’est un exercice, il faut pratiquer. Apprendre à cloitrer ses pensées dans les bornes de son corps; exercice utile, exigeant, nécessaire. Compartimenter, tel est le secret. Si vous êtes dans votre lit, ne pensez pas à demain, dormez. Nul mouron, nul sang d’encre. La tâche ne se fera pas sans que vous y soyez. Puisque vous n’y êtes pas, oubliez là, vous aviserez, non plus face à l’idée dans votre tête, mais face à la chose devant les yeux. N’imaginez pas, agissez.
Par exemple. Je passe de longues heures à penser à mes histoires, je les rêve, et pourtant, il en résulte que je n’écris jamais tout à fait ce à quoi j’avais pensé. L’écriture est à elle-même son propre moteur ; elle nous entraine, malgré le plan, malgré l’idée, vers des pistes neuves et insoupçonnées jusqu’alors.
Etirez cette expérience. Combien de fois se préoccupe-t-on, se tourmente-t-on, pour des choses qui n’arrivent jamais. Cette pensée qui est malaise est un mal superficiel, tout l’effet est d’imagination. Apprenons à ne plus penser, à n’être qu’être sensible, sérénité de chat ronronnant.
Certains objecteront que prévoir un mal, c’est se préparer à supporter ce mal, c’est se forger une carcasse mentale prête à encaisser. Mais s’efforcer de toujours penser le mal, c’est toujours mal penser. La crainte est un mal à vaincre.
Gardons l’idée de l’inéluctable dans un coin de tête, mais comme un tableau de coin dans une maison. Ne nous épuisons pas à penser le mal. Car penser épuise, penser consomme ; méfions-nous de trop mal penser. Je sais que le mal arrivera, car il arrive toujours, mais je sais aussi que je le surmonterai; il me suffit de vivre. La vie est à elle-même sa propre preuve ; vivre, c’est vaincre sans cesse. Il est plus beau et difficile de vivre que de mourir.
01/10/2022