Sur le mouvement de l’histoire

H.Robert, L’incendie de Rome

Les civilisations ni ne naissent ni ne meurent, elles se transforment. Aujourd‘hui est le prolongement de Rome et de Babylone, le mariage des Francs et des Celtes, ou la rencontre des hommes du nord avec l’empire des pharaons. Le monde ne sombre point, il mute éternellement, d’œuf à chenille, de chenille à chrysalide, de chrysalide à papillon, de papillon à œuf. Considérer que c’est la fin et le début d’une nouvelle ère là où il n’y a qu’un passage, c’est faire des raccourcis, et c’est une facilité de l’esprit que de comparer notre civilisation à un bateau en naufrage sans que l’on ne puisse rien changer. Au contraire, tout est à faire, le passé est dans chaque instant, et demain n’invente rien. Je m’explique.

476, chute de l’Empire Romain, raccourci de l’esprit. 1453, terme du Moyen-âge, raccourci de l’esprit. 1991, fin de l’histoire (dixit Fukuyama), toujours et encore un raccourci d’esprit. Le temps historique réel n’est jamais limité par les frontières de catégories conceptuelles, car le temps n’est pas une succession d’instants mais une continuité de mouvements, un enchainement évènements. Or, pour saisir ce mouvement qui fait l’Histoire, l’esprit simplifie ce que fut la réalité, il la classifie, il la synthétise, et il cherche à fixer des limites que sont les datations des moments marquants. Pourtant, plus on se fait historien, plus l’on creuse dans le détail, et plus la complexité du réel émerge ainsi que le flou des frontières temporelles conventionnellement admises. Celui qui s’efforce de connaître, de manière générale, sort des zones délimitées de la catégorisation.

Comment peut-on dire, comme Michel Onfray, que la civilisation chrétienne est morte, quand l’ensemble des mœurs que sa religion a prôné pendant ses mille ans de règne, imprègne encore aujourd’hui la conscience de millions d’individus, des croyants aux non-croyant de tout l’occident ? Les religions obéissent aux lois de la nature et au mouvement de l’Histoire, elles ont en elles l’ADN de leurs ancêtres et la génétique de leur descendance, c’est-à-dire ce qui demeurera d’elles sous une autre forme quand le Christianisme, comme l’Islam ou le Judaïsme, auront le titre de religions païennes.

Comprenez que l’Islam n’est ni l’ennemi, ni l’opposé du Christianisme, c’en est la petite sœur. Et si le grand frère se nomme Judaïsme, vous trouverez pour parents et grands-parents les mythologies Gréco-romaines, Egyptiennes, Celtes, Scandinaves, Perses, etc. Le mouvement de l’histoire est comme le mouvement de la vie : sans but ni conscience, d’une absurdité si angoissante pour l’ignorant qu’il s’efforce d’y trouver du sens, même s’il faut pour cela l’inventer.

L’incendie de la cathédral montre que les hommes peuvent autant s’émouvoir devant une vieille pierre qui brûle que devant la mort d’un homme ; c’est que dans cet assemblage de pierres repose l’âme de toute une époque. L’homme passe quand sa trace demeure, et c’est dans cette trace que se reconnaissent les générations nouvelles. Nous appartenons à ce monde mais le monde ne nous appartient pas, comme nous le rappelle ces monuments historiques, ces cathédrales et ces ruines. Leur perte est un drame pour la mémoire, drame qui illustre l’éphémérité de la matière malgré le travail acharné des civilisations pour se grandir. Mais déjà en nous est présent demain, déjà en nous existe l’homme de l’an 3 000, car rien ne nait de rien et que rien ne meurt vraiment. Tout est dans le mouvement, un mouvement du monde, un éternel mouvement, car quand bien même ses manifestations particulières se changent ici et là, l’Univers demeure. Faisons-nous pessimistes par précaution, mais soyons optimistes de raison.

  16/04/2019

 

 

3 commentaires sur “Sur le mouvement de l’histoire

  1. Dans ce propos j’essaie de faire émerger les notions de continuité et de simplification, déjà abordées ailleurs. Prenez pour exemple un homme. On a l’habitude de dire qu’il est d’abord fœtus, puis nourrisson, puis enfant, puis adolescent, puis adulte, puis vieillard etc. Seulement vous conviendrez que cette distinction est de l’ordre des idées (simplification) mais non pas dans les faits. Dans les faits il s’agit de la continuité d’un processus d’évolution. Certes on marque le passage à l’age adultes par des rites, par exemple dix huit ans chez nous, mais cela reste symbolique, performatif peut être, mais d’abord symbolique, et le corps réel lui, ignore ce passage.

    Dans un autre propos j’avais l’idée que la vie même ne s’arrête jamais. Avant le fœtus il y a quoi, un spermatozoïde et un ovule, qui suivant les critères biologiques sont des « êtres vivants » sous forme cellulaire.La vie se prolonge, et mon idée est qu’il en va de même de l’idée de civilisation. La forme change mais pas son essence.

    Prenez ce vieille exemple philosophique, il est d’Aristote je crois mais je me trompe peut-être. Supposons un bateau en bois. Au fil du temps il faut l’entretenir, le réparer, remplacer les planches. Question: le jour où toutes les planches ont été remplacées, peut-on dire qu’il s’agit du même bateau? A l’évidence tous seront d’abord portés à dire que oui, pourtant comment le justifier ? Mais prenons l’exemple inverse. Supposons que nous prenons toutes les planches de notre bateau et que nous les réutilisons toutes, ni plus ni moins, pour construire une cabane. Vous admettrez avec moi que tous dirons qu’il s’agit là d’une chose différente. Pourtant le matériel de base est le même, seule la formes et la finalité changent. Comment justifier notre réponse?

    Le paradoxe de cet exemple n’est pas dans les choses mêmes mais dans la catégorisation conceptuelle que l’on fait du monde, ce qui est tout le problème de la philosophie depuis Platon. L’être réel est peut-être indépendant de la représentation humain, ou du moins mal saisie, et il ne le sera d’ailleurs jamais.

    Dans la citation vous oubliez de reprendre la partie la plus importante, « elles se transforment », suivant cette idée de Lavoisier. En termes philosophique, le particulier change mais la substance reste la même. Mon idée suit une forme de dialectique à la Hegel à laquelle je retrancherai l’idée de progrès ou de supériorité des hommes d’aujourd’hui aux homme d’hier.

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