Sur la discipline

La fenaison, 1880 (panneau de toile) - Julien Dupre
J. Dupré, La fenaison

Tout l’intérêt de la discipline ne réside pas dans le fait de l’imposer aux autres mais de se l’imposer à soi. Beaucoup craignent le mot et fuient la pratique, ils voient d’abord la contrainte avant d’en envisager les effets, confondant la mécanisation de l’homme telle que présente à l’armée avec la juste mesure d’une seine discipline. Nous touchons là à deux idées du bonheur, l’une idyllique pensant que tout bonheur nécessite l’absence de toute contrainte, l’autre pragmatique comprenant que la stabilité de l’âme – si essentielle au bien-être – est en lien direct avec la stabilité de la vie. Cette idée est visible dans les métiers de l’éducation où l’on observe que les enfants les plus tourmentés sont généralement à l’image de leur existence. Aussi, discipliner sa vie, engager une forme de routine, accorder du temps aux choses, éviter la procrastination, ritualiser son quotidien dans une certaine mesure et avec une certaine souplesse, toute cette discipline donc, permet aussi de donner un cadre et des repères à son esprit et à son corps, c’est offrir un rythme de croisière à son ventre et à sa tête, peu excitant pour l’imagination, mais concrètement rassurant pour l’âme en évitant des dépenses d’énergie inutiles lorsqu’il faut parer aux imprévus.

Se discipliner, c’est se donner le moyen de réussir ce que l’on entreprend, avançant marche après marche, pas après pas, sans vouloir brûler les étapes et pleurer sur son impuissance après avoir échoué à vouloir aller trop vite. L’on agit mal dans la précipitation, et si un coup de pression peut parfois activer vos neurones et vivifier votre esprit, il est cependant impossible de construire une vie sereine sur une succession de coups de pression. Les devoirs de lycéens ou d’étudiant longtemps préparés à l’avance, calmement et par étapes, sont généralement meilleurs que les travaux réalisés la veille pour le lendemain, et cette même catégorie d’élèves soucieux de répartir la tâche dans le temps mais de manière rigoureuse et régulières sont aussi davantage susceptibles de se corriger et de s’imprégner des conseils qu’ils ont pu recevoir. Aucune œuvre artistique mémorable aussi géniale fut-elle n’a jamais été produite dans la précipitation. Le temps de la précipitation n’est pas le temps de l’art, et entendez le, ni de la pensée. Méfiez-vous toujours de ceux qui vous livrent leur opinion avec une apparence de certitude sur l’événement imprévu qui s’est produit le jour même. Comment peuvent-ils être en mesure de proposer une argumentation rationnelle non influencées par la passion du sujet ? Ils ne font que souffler sur la braise, mais ce genre de débat ne produit que du vide et tourne en rond. Vous n’en retirerez rien de bon pour vous-même si ce n’est d’apprécier davantage le calme une fois la radio éteinte. La crise financière de 2008 fut une « catastrophe » économique nous ont rabâché les médias, pourtant les riches de cette époque sont toujours aussi riche dix ans après.

Nous sommes à une époque, peut-être cela fut-il toujours le cas, où l’on tient pour important et essentiel tout ce que l’on entreprend, tout ce qui arrive, et tout ce que l’on dit. Tel artiste est dis génial, tel événement est dis historique, et je serai curieux de savoir ce que retiendra réellement l’histoire populaire dans les siècles avenir. Voyez comme l’on se souvient davantage d’Athènes que de Sparte, alors qu’historiquement la seconde fut vainqueur de la première. Voyez comme l’on connait davantage Mozart que Salieri quand le second était davantage reconnu que le premier, ou comment Spinoza a marqué l’histoire de la philosophie alors qu’il n’avait pas bonne réputation de son vivant. Nous ne retiendrons peut-être que De Gaulle comme homme politique français de la Vème République, les autres ne seront connus que de quelques historiens spécialistes des médiocrités. Non, la vérité du présent de ne se dévoilera que dans longtemps.

Pourquoi cette digression, car il est conseillé à qui veut penser par lui-même de discipliner son esprit et faire preuve de discernement, d’apprendre à juger selon sa volonté et ses valeurs et non selon l’actualité du moment et la parole des pontes de l’intelligentsia médiatiques. Vous pouvez vous former une opinion sérieuse sur votre époque en recourant à des auteurs morts il y a deux mille ans, et le peu de nouveauté conceptuelle qu’offre la modernité par rapport à la Grèce de Périclès me laisse songeur quant à l’importance du discours médiatique.

30/09/2019

Julien Dupré. Les foins (1880-1910)
J. Dupré, Les foins

Un commentaire sur “Sur la discipline

  1. … Puisque vous y faites allusion dans l’article, je m’engouffre dans notre rapport au temps ( à la modernité).

    Dans un monde qui fait mine de tout accélérer, notre discipline serait de reprendre contact avec la lenteur. Et à l’inverse dans un monde lent où rien ne se passe, nous aurions besoin d’actions « rapides ». Telle une balance à l’ancienne, la discipline serait un mécanisme qui nous permettrait de nous rééquilibrer.

    Il me semble qu’il en va de même de notre rapport à la passion …

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